Association
Désert
Platé
La Benne de Platé par
Emile
Mogeny

Historique du monte-charge de Charbonnière à Platé
dit « la benne de Platé »

Avant la création du monte-charge de Platé, matériel, bois de chauffe et nourriture sont montés à dos d’homme ou de mulet. Les produits laitiers ont le même mode de transport pour la descente.

Les mulets ne dépassent pas les Boucles (1860 m). Comme le nom l’indique, c’est ici qu’on attache les mulets ; les marchandises finissent la montée à dos d’homme.

Seule l’armée, en 1914, fait monter les mulets à Platé pour la construction du pylône du Colonné.

Ce pylône est un relais d’ondes radio pour alerter l’Etat-major des armées d’un éventuel retournement de l’alliance italienne. Avant d’arriver à Platé, le mulet chargé de boulons se couche. Comme on veut le relever sans le débâter, le mulet se déroche.

Apparemment, c’est le seul accident d’animaux domestiques sur cette fin de parcours difficile.

A l’entre-deux guerres, Emile Ponchaud tient l’alpage de Platé. Il possède un âne pour son ravitaillement et celui du refuge du club alpin, à l’époque club alpin de la Roche-sur-Foron, dont il a le gardiennage.

L’âne, plus petit, passe plus aisément sous le rocher avant la passerelle. Il faut souligner qu’avant la pose de la passerelle le chemin bifurquait sur la droite sur une vire escarpée, dont on voit encore les vestiges.

Dans les années 30, Félix Mouchet monte un rouleau de fer rond au-dessus de la Tornache pour le tendre de cet endroit jusqu’à Platé. Ce rouleau est resté des décennies.

La deuxième guerre mondiale bouscule l’activité économique. Raymond Mogeny, en plus de ses responsabilités dans la Résistance, reprend le pastoralisme à Charbonnière et à Platé..

Jusqu’à cette époque, seul le réservoir de 3.000 litres construit en 1914 par Eugène Mogeny pour le compte de la commune alimente l’alpage avec une multitude de petits bassins, construits avec trois planches, pour récupérer l’eau de ruissellement et de fonte de névé, disséminés çà et là.

Pendant l’hiver 43-44, Raymond Mogeny avec le groupement pastoral de l’époque, composé des deux beaux-frères, Charles Bouillet et René Michollin et de leur associé, Raoul Fivel-Demoret, boucher au Plateau d’Assy, décide de créer une association syndicale libre pour, dans un premier temps, construire un réservoir d’eau supplémentaire afin de pallier le manque d’eau récurrent à Platé.

Cette construction, d’après les plans de l’architecte Le Même de Megève est prévue sur sol communal comme c’est la règle à l’époque. La commune ne vend pas mais autorise les constructions.

Pendant l’été 1944, on monte du ciment à dos d’homme à Platé, et l’on engage des maçons pour construire un réservoir de 30.000 litres d’eau récupérée lors de la fonte de neige ou de périodes pluvieuses ou d’orages.

La guerre terminée, la vie normale reprend ses droits.

L’association syndicale libre, avec l’aide de l’ingénieur Bouverot, de l’administration des Eaux et Forêts, obtient une subvention pour la construction d’un câble à lait, comme cela se disait à l’époque, pour désenclaver les alpages isolés.

Ce téléphérique, dont le départ est prévu à Charbonnière, à 1400 m d’altitude, pour arriver à Platé au lieu-dit Le Bout (10 mn avant les chalets) à 2000 m d’altitude est construit, lui aussi, sur sol communal selon la volonté municipale.

Pour réunir les fonds nécessaires, il faut augmenter le nombre des membres. L’ASLM de Platé se compte désormais au nombre de sept : Charles Bouillet, président ; Raoul Fivel-Demoret ; Raymond Mogeny ; Joseph Michollin ; René Mollard, Paul Pugnet ; Lucien Mouchet.

Le club alpin de la Roche décline l’offre de participation si bien que quelques années plus tard, quand le club alpin de Chedde reprend le refuge de Platé, l’ASLM ne lui monte pas les matériaux pour rénover le refuge saccagé par l’armée italienne le 8 juin 1943.

Un ingénieur en téléphérique et un monteur spécialisé sont embauchés ; on achète du matériel mécanique à la société des téléphériques à Chamonix et on commande un câble à la tréfilerie de Bourg en Bresse.

Une vingtaine de Passerands sont embauchés pour les travaux : monter le pylône à Platé et hisser le câble long de 1200 mètres aller-retour, pesant 1200 kg.

Le volant d’enroulement du pylône à Platé, pesant 80 kg, monte sur les épaules de Raymond Mogeny.

A Charbonnière, la machinerie est actionnée par un moteur électrique provenant d’une usine de soierie lyonnaise.

L’électricité en 220 volts, fournie par le sanatorium de Praz-Coutant, monte à Charbonnière par la forêt. La ligne est construite maison avec 3 fils non isolés en cuivre sur le premier tronçon jusqu’au torrent Ugine, qu’il faut traverser, puis en fil d’aluminium, portée par des poteaux en bois. A Charbonnière, le courant ne fait plus que 180 volts. Heureusement, que le moteur a bon caractère.

Chaque printemps et tout au long de la saison, il faut élaguer le long de la ligne la pousse des branches qui font une déperdition électrique importante quand il ne disjoncte pas le compteur à Praz-Coutant (ennuyeux quand la benne fonctionne). Par grand vent ou orage, c’est la même chose. Le travail demande des bras et de l’énergie. Plus tard, les fils d’aluminium sont remplacés par un fil gainé – coronex.

Le câble est un ruban porteur et tracteur sans pylône intermédiaire. Il faut miner le rocher au-dessus de la passerelle en arrivant à Platé pour le passage de la benne quand elle est lourdement chargée à 200 kg.

Ce câble doit être parfaitement tendu. La tension se fait en comptant les secondes que met un coup sur le câble pour faire l’aller-retour ; s’il est détendu, la durée de transmission augmente.

Trois coups donnés à Platé signalent au conducteur, à Charbonnière, qu’il peut faire redescendre la benne.

Le câble est graissé régulièrement. Différentes méthodes ont été utilisées pour le faire. Quand il y a surgraissage, les marchandises arrivent souillées à Platé si elles ne sont pas bâchées.

Trois marques, bien visibles, sont fixées sur le câble pour avertir le machiniste que la benne arrive à Platé. La première indique que la benne est à la passerelle, la deuxième au rocher miné, la troisième, à côté du débarcadère. Par brouillard ou mauvais temps, le machiniste surveille sa montre : il faut 9 mn quand la benne est vide, plus longtemps quand elle est chargée. Plus tard, un compte-tours a été installé.

L’attention du conducteur est forte quand une, voire deux personnes légères, sont dans la benne, surtout par mauvaise visibilité.

Bien que ce ne soit qu’un monte-charge pour marchandises, peu de gens parmi les habitués de Platé montent à pied, sauf le conducteur. Temps béni où chacun savait assumer ses responsabilités.

Le moteur est lancé progressivement par un système fonctionnant par 3 lames métalliques, reliées au moteur, s’enfonçant dans un bain d’eau mélangée à de la soude caustique.

Ce système est ensuite remplacé par un rhéostat puis par un fût d’eau salée avec les anciennes lames métalliques.

La machinerie est une mécanique simple mais bien conçue. Deux axes supportent chacun un volant sur lequel passe le câble. Une courroie plate en cuir relie le moteur à la machinerie.

Un axe transmet l’énergie de la courroie à un petit pignon engrenant sur un plus gros, pour la démultiplication, lequel est accouplé au gros volant du câble.

Au début, il n’y a qu’un seul frein sur le gros volant manœuvré par un volant manuel qui n’est vraiment pas pratique. Une barre de bois est à portée de main en cas de fracture de la vis de liaison, ce qui est d’ailleurs arrivé. Un frein à pied et à main est installé peu après sur l’axe primaire pour plus de commodité et de sécurité.

La benne est une petite plate-forme métallique dont les bords sont rehaussés par des ridelles en bois. Elle est fixée au câble inférieur par des mordaches. D’ailleurs, le câble ruban est raccordé à cet endroit. Le câble supérieur, circulant en sens inverse, passe sous quatre poulies fixées au câble inférieur par des flasques triangulaires en tôles épaisses.

En cas de foudre, deux mises à la terre sont installées à Charbonnière et vérifiées scrupuleusement chaque printemps.

L’inauguration du monte-charge se passe au mois d’août 1945. Il y a une fête mémorable avec les invités, c’est-à-dire ceux qui ont participé à la construction.

Tout le monde monte par la benne. Pil (Pierre) Duperrey, qui a son fusil, tue un chamois à la descente de la benne à Platé, sous les yeux de l’ingénieur Bouverot. Ce dernier n’en fait pas référence.

Des tréteaux et des panneaux sont installés au Pré à Gayons (vers le chalet du groupement pastoral avant les chalets) pour le banquet. Le vin, monté par la benne, coule à flots. Charles Bouillet, un moment de déséquilibre, bascule dans la carlire (rivière de lisier de vache). Henri Mogeny fait de l’équitation sur la Bretonne, la vache de Raymond Mogeny. Tout cela est bien loin, mais certains souvenirs restent.

Après la guerre, en 1947, il y a du changement dans les adhérents. Une deuxième déprise agricole, après celle de 1914, se fait jour.

Avec la troisième déprise agricole, en 1957, il n’y a plus de vaches à Platé. Seul, un troupeau de moutons subsiste.

Le 13 décembre 1975, l’association décide que le monte-charge appartient à l’association et non plus aux membres. Tout nouveau membre de l’association doit être accepté à la majorité des 2/3. La cotisation est exécutoire.

La benne sert à ravitailler le berger de moutons, le refuge et permet l’entretien des chalets. Tout au long de ces décennies, elle est l’objet d’entretien rigoureux et d’améliorations continuelles.

En 1976, le câble est remplacé par un nouveau, lui aussi commandé à la tréfilerie de Bourg-en-Bresse.

En 1977, l’embarcadère en bois, à Charbonnière est remplacé par des piliers et une dalle en béton. En 1980, on prévoit de rallonger le hangar pour abriter la benne. Pour cela, il faut couper du bois, tailler la charpente et en 1982, l’agrandissement est terminé.

A Platé, le débarcadère en bois est remplacé par une structure métallique. On remplace les poulies en fonte de la benne par des poulies en alliage léger dont la gorge est munie d’un fond en caoutchouc. Lors de charges inégales ou de transport de charpente, pour éviter que les deux câbles ne soient plus à la verticale l’un de l’autre, un axe supplémentaire a été installé sous le câble inférieur. Puis c’est le tour du moteur électrique d’être remplacé en 1990 par un moteur thermique actionnant un moteur hydraulique. L’ancien moteur donne toujours satisfaction mais la ligne électrique demandait beaucoup d’heures de travail.

Les conventions avec la mairie, tant pour la ligne électrique que pour le monte-charge, sont renouvelées à chaque échéance.

Sans ce monte-charge, les chalets de Platé auraient été ruinés pendant les décennies 60 à 70 comme tous les chalets d’alpage aux alentours.

En 1996, l’assureur nous déclare que les installations ne sont pas conformes aux normes en vigueur et qu’il décline toute responsabilité.

Au mois de décembre 1999, une énorme quantité de neige (celle qui a provoqué l’avalanche de Montroc à Chamonix) effondre le débarcadère à Platé. Dans sa chute, ce dernier appuie sur le câble, qui arrache un hauban du pylône qui vrille sur lui-même. Les galets de l’axe du volant éclatent.

C’en est fait de la benne de Platé après 54 ans de bons et loyaux services.

En 2000, une entreprise spécialisée a enlevé le câble. Puis les installations à Platé ont été évacuées par hélicoptère. Il ne reste plus du monte-charge que le hangar à Charbonnière avec la machinerie.

Maintenant, c’est l’hélicoptère qui fait le travail avec plus de commodités puisque les charges sont prises à Plaine-Joux et posées devant les chalets. C’est plus cher et moins disponible, mais les dangers, donc les responsabilités ont disparu.

En effet, le câble coupait le chemin en divers endroits. La chute d’un morceau de bois ou d’un matériel mal arrimé ou un accident dans la machinerie à Charbonnière ou sur le débarcadère à Platé - ce qui est déjà arrivé deux fois, un feu et accident au genou - pouvaient entrainer des conséquences fâcheuses pour les responsables.

Quoi qu’il en soit, tous les monte-charges, y compris ceux d’EDF pourtant performants, ont été démontés et remplacés par l’hélicoptère.

Mise en page PhM - 2014-08-15

© Documents Association Désert de Platé 2014
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1 - Départ du monte charge à Charbonnière en 1978
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2 - Départ du monte charge à Charbonnière en 1995
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3 - La plateforme d'arrivée dans sa première verion en ****
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4 - Le plateau d'arrivée de la benne en ****
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5 - L'ensemble moteur entrainement et son pilote en ****
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6 - La benne suspendue au cable (Ph. Jean-Marie LeBraz 1977).
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7 - L'enroulement du câble sur le volant
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8 - La benne en chargement (Ph. Jean-Marie LeBraz 1977).
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9 - Un gros ravitaillement (1992)
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10 - La plateforme métallique
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11 - Transport aérien
carte benne
12 - Tracé du cable
Fond de carte : IGN 1/25000.